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Mon travail de scientifique en montagne raconté dans un livre

Raconter la recherche avec humour !



Chercheuse contractuelle au Laboratoire d’Ecologie Fonctionnelle et Environnement de Toulouse, j’étudie l’écologie des lacs d’altitude, avec une préférence pour les Pyrénées où j’œuvre depuis près de 15 ans. Je travaille sur un milieu fragile, l’écosystème de montagne, qui est menacé par le changement climatique et par les usages de notre société. Mais le grand public ignore souvent l’ampleur du problème. Lors de mon travail de terrain, je suis amenée à rencontrer des randonneurs qui m’interrogent sur mes recherches, intrigués de me voir porter des gants et manipuler des tubes de toutes les couleurs. La bienveillance des gens, leurs questions intéressantes et leurs remarques pertinentes m’ont mises à l’aise, autant que les soirées passées dans les refuges à discuter au coin du feu. J’ai été frappée par l’envie du public d’en savoir davantage sur les travaux des chercheurs, mais aussi par le décalage entre ce que les gens s’imaginent de la recherche et la réalité du terrain. En d’autres termes, la recherche n’est pas un long fleuve tranquille ; à l’image de la vie, elle est aussi faite d’erreurs, d’échecs, de joies et de doutes. Cette vision idéalisée du monde de la recherche se rencontre aussi chez les étudiants, peut-être en conséquence de la crise sanitaire et de la suspension de leurs stages.

Au printemps 2021, j’ai participé à un évènement Declics, pour parler du déclin des amphibiens. Les lycéens m’ont demandé si être une femme représentait un handicap dans le monde de la recherche et si partir vivre à l’étranger, dans un pays dont je ne parlais pas la langue, ne m’avait pas effrayée. J’ai compris qu’ils avaient plus d’interrogations sur la façon dont la recherche se fait que sur le contenu scientifique en lui-même.

A 44 ans, je me suis retrouvée à un stade de ma carrière où la plupart de mes collègues investissent des mois dans la rédaction de leur Habilitation à diriger des recherches (HDR), manuscrit ultraspécialisé, technique, dénué d’émotion et qui, soyons réaliste, n’est lu que par une poignée de chercheurs, généralement les membres du jury. J’avais besoin d’autre chose et j’en ai pris le contrepied, c’est-à-dire un manuscrit qui ne se prend pas au sérieux, destiné au grand public et décrivant l’envers du décor, depuis la recherche des financements jusqu’à la publication des résultats, en passant par les difficultés, les joies, les anecdotes, ainsi que l’instant de grâce, la découverte. Je souhaitais aussi porter des valeurs qui me tiennent à cœur, comme la protection de la biodiversité. Il m’est tout de suite apparu que cet ouvrage, s’il voyait le jour, pourrait avoir plus d’impact sur la société que mon HDR.

L’idée de contacter une maison d’édition m’est venue en lisant deux livres de la collection « hommes et montagnes » de Glénat, où les auteurs décrivent en toute simplicité et humilité la particularité de leur métier en altitude. Je voulais savoir si le projet était susceptible d’intéresser la maison d’édition avant de me lancer. L’éditrice m’a répondu qu’ils ne publiaient pas de livre scientifique, qu’ils ne s’engageaient que sur un texte abouti, mais m’a proposé de soumettre un synopsis. J’étais tellement naïve que je ne savais même pas ce que c’était (le résumé complet du livre) ! Il m’a fallu trois semaines pour le rédiger, en choisir le fil d’Ariane (notre recherche sur un champignon tueur d’amphibiens dans les Pyrénées) et y ajouter de la matière (les anecdotes et les rebondissements). Je voulais que mon récit se lise comme un roman, alors j’ai choisi de démarrer avec un chapitre où je racontais avec humour mon plus grand moment de solitude, lorsque je me suis retrouvée seule en altitude, dans le brouillard, avec un âne qui refusait d’avancer alors que je devais descendre 30 litres d’eau de la montagne. Tout le monde peut facilement se projeter dans cette situation. Ensuite, tout est allé très vite. J’ai envoyé mon synopsis le dimanche, le lundi l’éditrice me demandait l’autorisation de présenter le projet aux autres éditeurs, car elle avait aimé le ton humoristique, et dans la semaine, elle me parlait de signer un contrat ! Là, j’ai eu un vrai coup de chaud, parce que j’avais fait ma maligne, mais je n’avais aucune expérience et je n’étais pas certaine d’être capable d’écrire un livre. C’est une amie écrivaine et coach littéraire qui m’a rassurée et m’a donné le meilleur conseil : « Fonce et ne te pose pas de question, écrit, écrit, écrit, si tu bloques, il existe des techniques ». Je me suis alors attelée à la rédaction, en suivant scrupuleusement le synopsis et en intégrant les ingrédients que j’apprécie dans mes lectures (sincérité, humour, émotions, suspens), afin d’écrire le livre que j’aurais aimé lire plus jeune. Au rythme d’un chapitre par semaine (environ 10 pages), j’ai bouclé le premier jet en trois mois, sans expérimenter le syndrome de la page blanche. J’ai contacté chacun des collègues mentionnés dans le livre pour savoir s’ils préféraient apparaitre sous leur véritable nom ou des pseudos. Tous ont immédiatement été enthousiastes et ont soutenu le projet.

J’ai été surprise de la facilité avec laquelle j’ai pu mener à bien ce projet et je ne m’attendais pas à y trouver autant de plaisir. Avec le recul, ce n’est pas si étonnant. En tant que chercheurs, nous sommes entrainés à rédiger des articles scientifiques synthétiques, lisses, techniques, en anglais, où chaque phrase, si ce n’est chaque mot, est pesé, changé, critiqué, réécrit, un processus long, fastidieux, voire ennuyeux. Pour la première fois, j’écrivais dans une langue que je maitrise parfaitement, ma langue maternelle, avec une grande liberté de ton, de longueur et de contenu, un gigantesque « matériel et méthode » de 250 pages. Or, ne dit-on pas que le « matériel et méthode » est la partie la plus facile à rédiger d’un article scientifique ? Pour la première fois également, j’ai bénéficié du soutien d’une éditrice professionnelle qui a retravaillé mon texte avec beaucoup de bienveillance pour le rendre plus fluide et qui a pointé les passages méritant plus d’explications. J’ai aussi été consultée pour la couverture du livre et jamais la maison d’édition ne m’a imposé quelque chose. J’ai été accompagnée avec beaucoup de professionnalisme et d’humanité ! Lorsque j’ai été invitée à participer à une émission de télévision en direct, l’équipe éditoriale n’a exercé aucune pression, c’est mon mari qui m’a convaincue en me disant que ça sera forcément plus agréable qu’un concours de recrutement (c’est vrai !) et au final j’ai été contente d’être parvenue à surmonter mon appréhension. La sortie du livre a été très bien accueillie par les médias, de nombreux journalistes m’ont dit qu’ils aimeraient lire davantage de livres comme le mien, accessible et capable de parler de science aux néophytes. Et l’on m’a fait les plus beaux compliments en déclarant que mon livre était « écrit cash » et se lisait « comme un roman d’aventure ». Durant mon premier salon du livre, j’ai constaté que les lecteurs avaient souvent peur que le livre soit trop scientifique (traduisez : incompréhensible et ennuyeux), je réponds que ce n’est pas un livre scientifique, mais un livre sur les scientifiques pour le grand public. Aujourd’hui, je reçois des emails d’inconnus qui se réjouissent d’avoir pu apprendre de façon ludique grâce à mon récit et qui… me demandent de mes nouvelles… preuve que je suis parvenue à instaurer une proximité avec mes lecteurs. Pari réussi !




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